Vous connaissez les “late bloomers” ? Cette expression très couramment utilisée aux États-Unis, Catherine Taret, qui est à moitié américaine, l’a beaucoup entendue au cours de sa (courte) vie. Mais par un de ces mystères de notre humanité qui fait que notre moi conscient a parfois besoin de beaucoup de temps pour réaliser et s’approprier une réalité qui est pourtant là — et nous le crie — depuis longtemps, elle a mis du temps à se rendre compte qu’elle faisait partie de cette tribu.

Elle raconte sa prise de conscience dans le joli livre “Il n’est jamais trop tard pour éclore, Carnet d’une Late Bloomer”, sorti au mois de mai.
Le Late Bloomer, c’est une personne qui va mettre un peu plus de temps à véritablement “éclore” : comprenez par là réussir (selon sa définition personnelle), trouver sa voie, s’épanouir. Parfois cela s’appliquera au domaine professionnel, parfois au domaine amoureux ; d’autres fois aux deux domaines, voire à d’autres… 🙂
Le Late Bloomer, c’est cet acteur habitué aux seconds rôles qui rencontre la reconnaissance et obtient enfin des premiers rôles sur le tard, cette femme qui tombe amoureuse pour la première fois à 70 ans… C’est aussi moi par certains côtés.
Late Bloomer je suis
Autant je ne me serais pas appliqué ce qualificatif jusqu’à il y a peu de temps, autant le livre et l’échange auquel j’ai assisté avec Catherine Taret dans le cadre d’une soirée organisée par l’association Eklore, il y a quelques semaines, m’a laissée pantoise. C’est une expérience sacrément intense que d’entendre des mots qui ne résonnent habituellement que dans notre tête dans la bouche et avec la voix d’un autre être humain. Car même si l’on sait ne pas être seul au monde, les doutes et les peurs ont ce pouvoir sur nous de nous donner envie de nous recroqueviller sur notre seule vie intérieure, ces autocritiques généralement négatives qui ne nous aident pas à avancer et éclore 🙂

La Peur
Ce type d’expérience de “communion” est rare et précieux. Depuis un an et mon expérience chez Switch Collective, dans le cadre du programme “Fais le bilan, calmement”, j’en vis beaucoup. La première a été douloureuse. Switch, j’avais décidé de m’inscrire après avoir longuement tergiversé. Cela faisait des années que je faisais un métier que j’avais moi-même choisi et alors que jusque-là mon activité tournait bien, je me suis retrouvée à avoir de plus en plus de mal à travailler, d’abord normalement, puis tout court. Je continuais de tenir mes engagements vis-à-vis de mes clients. Seulement je ne me sentais plus bien dans mon travail, le souffle n’était plus là et avec lui j’avais perdu l’énergie que j’avais toujours réussi à déployer pour gagner de quoi faire mon mois. Alors que je m’étais réfugiée dans un espace de coworking, en pensant que sortir de l’isolement m’aiderait, le malaise ne me quittait plus.
Les premières sessions du bilan ont été terribles. Imaginez : alors que vous ne vous sentez pas au mieux avec vous-même, voici un programme qui commence par vous obliger à vous recentrer sur vous et votre identité ! Pire, la deuxième semaine, on nous a demandé de réfléchir à nos peurs et de verbaliser toutes ces petites phrases, ces mots pas doux et critiques hyper-méchantes que nous nous disions dans notre tête lorsque nous pensions à changer quelque chose dans notre vie. “Tu n’y arriveras pas !” “Mais qu’est-ce que tu crois ?” “Ils vont se rendre compte que tu n’es qu’une imposture !”… C’est là que j’ai connu mon premier grand moment de communion avec mes co-switchers : lorsque j’ai entendu toutes ces phrases, pensées, qui jusque là régnaient dans ma tête, prononcées par d’autres personnes, partout autour de moi. Une expérience de “communion dans la peur” aussi éprouvante que transcendante. Sans résoudre mes angoisses, cette session m’a vraiment libérée d’un poids énorme, en me rappelant que toutes ces pensées étaient aussi et avant tout humaines. Le “choc de la révélation” passé, j’ai découvert dans les personnes qui m’entouraient des êtres eux aussi en souffrance dans leur travail — donc dans leur vie. J’ai ressenti cette souffrance à la fois similaire à la mienne et différente, unique, et je me suis sentie faire communauté avec mes camarades de promotion.
An outsider once, always an outsider ?
Social Good Week, UP conférences, OuiShare Fest, Place to B, Meetups en tout genre, TEDx… Depuis des années, j’écumais — j’écume toujours — les événements, buvant les paroles des intervenants, tentant d’apprendre, de me nourrir, pour essayer de diffuser toutes les belles choses et personnes que je voyais et découvrais. A défaut d’autre chose, je m’étais donnée pour mission de diffuser toutes les belles choses et initiatives positives que je voyais, pour les faire connaître. Une mission qui me tenait à cœur et que j’avais l’impression de faire bien, qui de plus s’alignait parfaitement avec un tempérament plutôt effacé, et une pulsion constante de rester plutôt en retrait, pour tenir le rôle qui semblait me revenir naturellement : celui de messagère-témoin. Après tout, c’est important aussi, les messagers !
Switch m’a aidée à sortir de la vision “monolithique” que j’avais de moi-même : destinée à rester dans ce rôle de témoin, de messagère. Diplômée universitaire au milieu de diplômés de grandes écoles et d’ingénieurs. Freelance de dix ans au milieu des entrepreneurs de mon espace de coworking. Traductrice au milieu des vrais journalistes, auteurs et artistes narrateurs de Place To B. “Outsider” parmi les professionnels du secteur, dans les soirées dédiées à l’innovation sociale, à la coopération… An outsider once, always an outsider. Je ressentais bien des tiraillements parfois, l’impression d’être peu reconnue. Mais pourquoi aurait-on dû le faire, puisque je ne faisais rien d’exceptionnel ou de particulier ?
Quand je me suis inscrite au programme, c’était pour me donner la possibilité de faire le point et de réfléchir enfin à toutes ces choses qui m’intéressaient en dehors du boulot, toutes ces sources de “flow”, pour réfléchir à la meilleure façon de les intégrer dans ma vie. Mais je ne me voyais pas, je ne m’autorisais pas à me considérer comme “en souffrance dans mon travail”. Après tout, j’avais choisi mon métier ! Après tout, je n’étais pas dépendante d’un employeur malveillant ! Mon idée au départ, c’était que je resterais traductrice, et que peut-être j’arriverais à développer une autre activité à côté : pourquoi pas du community management ou de la rédaction, des activités plutôt “de l’ombre”, alignées avec ma mission de “témoin-messagère”.

Plusieurs expériences de communion plus tard, me voici aujourd’hui, un an après la fin du bilan, late bloomeuse assumée et en devenir. Peu de choses ont changé en apparence dans ma vie : j’exerce toujours le même travail ! Mais grâce au bilan, à mes camarades de promotion, et après des années de procrastination, j’ai finalement fait mon “coming-out”. J’ai réalisé, après des années de piétinement, ce que je voulais vraiment faire, ou du moins mon Pourquoi : ce pour quoi j’ai envie de me lever le matin et de travailler.
Je suis porteuse d’un projet qui avance peu à peu, parfois intensément, porté par des rêves et un enthousiasme qui me laissent éveillée une partie de la nuit. Parfois timidement, quand je me retrouve face aux gens brillants, Barbares et Zèbres qui m’entourent et dont je m’entoure. Mais quelque chose a changé en moi : alors qu’auparavant je lisais, écoutait, admirais toutes ces personnes exceptionnelles en essayant de me faire petite, par peur que quelqu’un finisse par poser la question fatidique (“Mais que fais-tu là ?”), aujourd’hui j’arrive mieux à exprimer ce que je suis et à me placer sur un plan plus “égal” par rapport à elles. Parfois, je me sens même en communion avec certaines d’entre elles. Et cela, ça n’a pas de prix 🙂
Mille mercis à Clara Delétraz et Béatrice Moulin, fondatrices de Switch Collective, à Catherine Taret pour ce beau livre, aux mutins qui se reconnaîtront… et surtout à mes co-switchers (Promo 5, la meilleure ! :))
J’adore !! Bravo pour cet article dans lequel je me reconnais… Bisous
Merci, je suis contente qu’il fasse écho 🙂